03 mai: « L’exonération fiscale pour les entreprises de presse privée », un journaliste en fait un véritable souhait

Pour une fois, indignez-vous !

Par Narcisse Prince Agbodjan

En ce 3 mai, Journée internationale de la liberté de la presse, l’heure n’est pas aux discours convenus. C’est le moment opportun de regarder en face une réalité malheureuse. De se pencher sur la situation qui interroge, qui interpelle. C’est l’occasion de remuer le couteau dans une plaie qui, chaque jour, s’infecte un peu plus.

Journaliste togolais, pour une fois, indigne-toi !

Indigne-toi, parce que la presse privée dans notre pays est à genoux. Révolte-toi, car les entreprises de presse privée, faute de moyens, s’étiolent, s’éteignent. Dans l’indifférence générale. La publicité, monopole de quelques privilégiés, continue hélas, d’être accordée au faciès, selon les liens affinitaires. L’économie médiatique, bien qu’à l’étape embryonnaire, s’effondre déjà, et avec elle, la dignité de la profession.

Une presse privée aux aboies

Des journaux sont contraints de mettre la clé sous la porte. Ceux qui tiennent encore provisoirement debout, sont caractérisés par des parutions irrégulières. Les rédactions végètent dans la précarité. Entre vulnérabilité économique, fiscalité agressive, aide publique insuffisante, répression larvée et fracture numérique, les médias privés togolais semblent laissés pour compte. Pourtant, ils remplissent une mission d’intérêt général. Rien ne saurait justifier la décision de les soumettre aux mêmes régimes fiscaux que les entreprises commerciales ordinaires.

Que dire du régime rigide de déclaration du personnel médiatique à la Caisse nationale de sécurité sociale ?

S’il est vrai que la pandémie a accéléré la chute, il est tout autant évident que l’indifférence et l’inaction collective sont en train de lui asséner les coups de grâce. Mais rien n’est tard. Rien n’est définitivement perdu, si le réveil conscient et la mobilisation spontanée font corps avec des actions concertées pertinentes. Rien n’est irréversible, si pour une fois, les acteurs médiatiques jouent franc-jeu. Cela suppose de laisser aux vestiaires les crocs-en-jambe, les tacles par derrière et surtout les buts que certains, pour quelques pécules, marquent allègrement contre leur camp.

Journaliste togolais, une fois n’est pas coutume, indigne-toi !

Une liberté d’informer en sursis ?

Le droit à l’information des citoyens semble s’éroder. L’autocensure refait surface, pendant que peur s’installe dans les salles de rédaction.
La loi est devenue l’arme favorite : diffamation, atteinte à l’honneur, incitation à la haine, … les prétextes ne manquent guère pour attraire les journalistes par-devant les tribunaux, lorsque ceux-ci ne sont pas directement en détention pour « raisons d’enquête ». La pluralité médiatique se meurt, lentement. La peur colle à la peau.

Face à cette situation, que faisons-nous ?

Nous avons délibérément choisi de nous réfugier dans le confort du silence ou alors dans les discours laudateurs pour faire des appels du pieds aux « parrains ».

Une profession désunie, paralysée par l’indifférence

Le plus grave n’est peut-être pas la précarité. C’est notre résignation. Nous sommes devenus spectateurs de notre propre mal-être. Divisés, repliés sur nos intérêts égoïstes, nous sommes convaincus que chacun trouvera une solution personnelle à son sort. Erreur !

Journaliste togolais, pour une fois, indigne-toi.

Car s’indigner, c’est refuser d’être complice de sa propre destruction. C’est reconnaître que rien ne changera tant que nous refuserons de parler d’une seule voix. Il est temps d’ouvrir les yeux. Nous ne devons plus fuir le débat. Il est urgent de nous asseoir, d’égrainer les problèmes, de proposer des solutions, et de les porter collectivement, avec courage et détermination. Car l’indifférence, c’est l’immobilisme, c’est la lâcheté, c’est la complicité.

L’heure est venue pour les journalistes et auxiliaires des médias privés, à travers leurs organisations de presse, de se remettre en cause, de mûrir la réflexion et d’en sortir des solutions ingénieuses. L’exercice devra déboucher sur la formulation des recommandations à déposer sur la table des pouvoirs publics et de la mise en place d’un comité de suivi. Entre autres :

  • L’exonération fiscale pour les entreprises de presse privées ;
  • L’instauration et l’application effective de mesures spéciales pour sauver les médias (détaxe sur les intrants, annulation des arriérés d’impôts, etc.) ;
  • L’adoption d’un statut spécial pour les entreprises de presse au Togo ;
  • La création de coopératives de journalistes pour mutualiser les ressources ;
  • La protection effective de la liberté de la presse.
  • La détaxation des intrants d’imprimerie, des matériels de production et diffusion médiatique qui inéluctablement passera par l’adoption du décret d’application de la Convention de Florence (1950) et du Protocole de Nairobi (1976), ratifiés par le Togo le 16 novembre 2009. Le souhait est de voir baisser drastiquement ou de moitié, les prix actuels des intrants d’imprimerie, des outils et matériels de production et de diffusion médiatique.

Par ailleurs, l’idée d’une journée « presse morte » ne serait pas saugrenue pour faire souffler un vent de nouveauté.
Ce jour-là, les journaux ne paraitront pas, les sites web arrêteront de publier les articles et les micros des radios et télévisions se tairont. Cette action commune vise à prendre à témoin l’opinion publique et les autorités sur l’état actuel de la presse privée togolaise. Ce n’est pas sorcier.

Pour une fois, indigne-toi, journaliste togolais.

Indigne-toi pour toi-même, pour ta rédaction, pour la respectabilité de ta profession. Pour les jeunes qui rêvent encore de ce métier. Pour le droit des citoyens à une information libre, plurielle et indépendante.
Le jeu en vaut la chandelle.
Indigne toi !

Je m’abstiens de nous souhaiter une bonne célébration de la Journée Internationale de la Liberté de presse.
Vous devrez savoir pourquoi.

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